La nuit fut courte... ces petits malins ont déclenché l'alarme à 6h14... A vrai dire, pour certains l'exercice avait commencé encore plus tôt, vers 05h30 (je mets bien le 0 des fois qu'il y aurait un doute) mais je ne faisais pas partie des appelés en 1ère urgence, même parmi la Croix Rouge. Le SMS de 6h14 disait qu'il y avait eu un incident à bord d'un bateau près de Brucebyen avec 85passagers impliqués. 6h14, les salopiots ! je ne me souviens quand étais la dernière fois que j'ai dû me lever si tôt. J'ai même eu une hésitation pendant 20 s... je dormais si bien, mon lit était si chaud et si douillet... il faisait si froid dehors...

Mais non... courageuse j'ai répondu oui (parce qu'il fallait répondre et à un n° différent du n° qui avait envoyé le message ! bizarrement... un point qu'il me reste à éclaircir).

Le temps d'ouvrir les yeux, de m'emballer des multiples couches, d'avaler une banane (pour ne pas mourir de faim), remplir 2 termos, me brosser les dents (ça réveille et j'ai pitié pour les patients), attraper mon sac déjà prêt et en route vers la Croix Rouge dans la fraîcheur matinale. J'étais sur place vers 6h40 (en ayant gagné quelques minutes grâce à quelqu'un qui m'a prise en stop à mi-chemin), juste à temps pour voir un hélico atterrir devant les locaux de la Croix Rouge pour récupérer du matos et des gens. J'ai porté un sac jusqu'à l'hélico et j'étais presque prête à monter dedans... mais non... Regroupement des troupes dans la salle de réunion. Et là, café... trop forts ces norvégiens... même en pleine crise, il y a toujours quelqu'un pour s'occuper du café !

Une attente un peu longue, avec de temps en temps, des petits chanceux qui partent sur les lieux du drame en hélico... et nous de regarder par la fenêtre ! C'est mieux que rien... Et là, soudain... qui est du prochain voyage ?? La Sophie se jette sur sa doudoune (on avait tombé des couches au fur et à mesure de l'attente.... "tombez la, tombez, tombez la doudoune..."), elle est du prochain voyage, elle descend l'escalier pour attendre avec les autres dans le dépôt... et... et... on a besoin de petites mains dans l'hôpital de campagne qui a été monté dans le hangar des hélicos à l'aéroport... Sophie ne partira pas en hélico... Sophie sera petite main...

Revenons au drame lui-même... Situons les choses... C'est où Brucebyen ??

C'est dans le même fjord que Pyramiden, la ville russe abandonnée, à une bonne cinquantaine de km de Lonyearbyen en droite ligne (je ne peux pas dire à vol d'oiseaux... il n'y en a plus, en tout cas pas des capables de voler 50 bornes !)

Au fur et à mesure, on en apprend un peu plus : une explosion a eu lieu à bord d'un bateau de croisière, le MS Amanda, il y a eu un incendie, il y a un trou dans la coque et le bateau prend l'eau... des personnes ont fini dans la flotte et ont dû nager jusqu'au rivage (par -20, sympa...), d'autres sont toujours à bord, d'autres sont dans un bateau de sauvetage... Le bateau menace de couler... En cours de journée on apprendra qu'il y a une nappe d'huile qui s'échappe du bateau. Donc apparemment, un gros bordel sur place et peu de personnes pour intervenir parce que dans chaque hélico il n'y a pas beaucoup de place pour du personnel à cause de l'équipement... même avec 2 super pumas.

Pour ma part, quand j'arrive à l'aéroport, l'hôpital de campagne est installé avec des zones verte, jaune, rouge selon la gravité des blessures. (Nous, on ne gérait pas les "noirs"). Il y a même un coin avec 2 tables d'opération. Les premiers blessés sont arrivés : ils ont été hélitreuillés depuis la flotte ou le bateau de sauvetage. Chaque petite main de la Croix Rouge est affecté à la surveillance d'un patient dans les zones jaune et rouge = parler à la personne, ne pas la laisser dormir/pas laisser dormir plus de 1 min (et là, je me suis fait beaucoup d'ennemis parce qu'ils n'avaient pas dormi la nuit précédente et ils étaient tous claqués !), surveiller la respiration et le pouls, l'évolution de la douleur... J'étais dans la zone jaune et très vite, au fur et à mesure des atterrissages d'hélico,  on est passé à 2 patients par pers., puis 3, puis un nombre à géométrie variable.

Au bout d'un moment, on a vu débarquer des militaires avec un des Hercules norvégien (photo ci-dessous), puis dans le milieu de l'après-midi du personnel du CHR de Tromsø. A vrai dire, je n'étais pas trop au courant de ce qui se passait où quand comment pourquoi mais j'essayais de garder le contrôle sur mes patients dont le nombre a fini par diminuer quand ils ont commencé à en évacuer. L'armée a aussi installé son propre hôpital de campagne (n'est-ce pas de l'énergie dépensée pour rien ?? ils ont sans doute un meilleur équipement que la Croix Rouge) et les blessés jaunes devaient y être transférés. Mais j'ai reçu le message que je pouvais rentrer chez moi et prendre une pause de 2h15 et revenir pour 19h... A part que quand je suis revenue, on n'avait en fait plus besoin d'aide. Je suis donc tranquille pour ce soir, peut-être qu'on aura besoin de moi demain matin avant le boulot??

Ça, c'était pour ma partie... pendant ce temps, l'évacuation des gens se poursuivaient sur les lieux du drame, une cellule de crise a été mise en place pour renseigner les familles des blessés, certains géraient la presse, les non blessés ont été regroupés dans la salle des sports... un accueil des familles y était aussi organisé et l'église accueillait aussi ceux qui étaient plongés dans le plus grand désarroi.

Bref, beaucoup de ressources locales à exploiter et à coordonner.

Il y a même un site officiel qui regroupe les infos diffusées :

https://ovelsesvalbard.wordpress.com/

avec quelques photos de l'évacuation des 1ers blessés dans l'Hercule de l'armée :

Si c'est déjà publié dans le domaine publique, j'ai le droit non ??

D'autres blessés doivent être évacués en avions ambulances mais leur arrivée a été retardée par une tempête de neige à Tromsø... maintenant, c'est ici qu'il neige et vente, mais je ne sais pas si ça va gêner la suite des opérations, les températures sont remontées à -13 environ. Un avion de SAS supplémentaire devait aussi aider à évacuer les non blessés.

Bilan humain :

tous les passagers ont été retrouvés/évacués sur Longyearbyen

9 morts

37 blessés

39 non blessés

Toute l'évacuation s'est faite avec les 2 hélicos du Sysselmann, aucune aide du Polarsyssel qui était vraiment parti/avait vraiment fini sa mission chez nous.

Il reste notamment le problème de la nappe d'huile qui ne sera pas réglée avant demain même si l'équipement est présent à Longyearbyen : il faut un bateau pour transporter le matos sur place et dans l'exercice, le KV Svalbard était à 12h du lieu de l'accident. Le bateau a été abandonné sans surveillance même s'il y a un grand risque qu'il coule, tout simplement parce qu'il n'y a pas les ressources humaines suffisantes.

Quant à la raison de l'explosion... d'après des blessés dont je m'occupais, ce serait un barbecue qui auraot explosé.... mais qui allume un barbecue à 5h du mat ?

Bilan personnel :

J'étais prête à affronter le grand froid mais pas la chaleur équatoriale régnant dans le hangar hôpital... au bout de 7h, je me sentais nauséeuse et très très fatiguée. Ça a été un pur bonheur quand j'ai enfin pu sortir et respirer l'air frais, très frais. Du coup, même si j'en avais marre avant d'être libérée vers 1645, j'étais à nouveau d'attaque pour un 2e round à 19h et j'ai été plutôt déçue qu'on me renvoie chez moi...

J'avais prévu de la bouffe, notamment 2 portions de Dry Tech, la bouffe déshydratée, mais j'avais oublié de prendre une fourchette/cuillère... erreur de débutante ! De toute façon, j'ai eu droit à un sandwich mais si j'avais été envoyée sur le terrain, ça aurait peut-être été un problème.